- Introduction à l’ergonomie
- Éléments de définition
- Entre science et technologie
- L’ergonomie : une science et une technologie?
- Multidisciplinarité et interdisciplinarité de l’ergonomie
- L’ergonomie a pour but la transformation du travail
- Etude de la relation entre l’homme et son travail
- L’activité de travail au centre de la situation de travail
- Les deux courants principaux en ergonomie (de Montmollin)
- Lectures conseillées
- L’approche de l’opérateur
- Diversité inter individuelle
- La variabilité intra individuelle
Introduction à l’ergonomie
L’ergonomie est une science du travail. Il en existe de nombreuses définitions. Nous en examinerons une.
« C’est un ensemble de connaissances relatives à l’Homme au travail nécessaire pour la conception ou la transformation d’outils, de machines, de dispositifs pouvant être utilisés par le plus grand nombre de personnes avec un maximum de confort, de sécurité et d’efficacité » (SELF 1988)
Cette définition repose sur une certaine idée de l’Homme au travail. Elle a pour ambition de contribuer au confort et à la santé des personnes, et de contribuer à l’efficacité économique de l’entreprise.
Éléments de définition
Il s’agit d’une science appliquée car elle vise la transformation de la situation de travail. Il existe une certaine ambiguïté de cette interprétation de la définition.
Entre science et technologie
L’ergonomie : une science?
L’ergonomie formalise des connaissances concernant l’homme au travail. Elle produit des connaissances. C’est donc une discipline scientifique qui a un objet de recherche : le fonctionnement de l’homme dans son activité de travail. Par rapport à cet objet, elle élabore des connaissances structurées et méthodiques. C’est par son objet d’étude et ses méthodes que se définit une science. En ce sens, l’ergonomie est donc une science.
L’ergonomie : une technologie?
De Montmollin (1986) pense que l’ergonomie est une technologie plus qu’une science.
Leplat (1980, Jacques) la définit ainsi:
« L’ergonomie est une technologie dont l’objet est l’aménagement des systèmes Hommes Machines… L’ergonomie est donc par nature appliquée… La psychologie ergonomique est constituée par l’ensemble des connaissances psychologiques pertinentes à l’analyse et à la solution des problèmes ergonomiques. »
Visner (1966, Alain) quant à lui la définît ainsi:
« L’ergonomie se place plutôt parmi les technologies: elle vise à connaitre dans quelles limites l’homme placé dans une situation donnée se trouve dans un état convenable (pour son confort et son efficacité), sans en savoir toujours les raisons profondes… L’ergonomie est un corps de connaissances qui fait partie de l’art de l’ingénieur, car elle permet de concevoir les machines de façon convenable pour le plus grand nombre de travailleurs. »
L’ergonomie : une science et une technologie?
Pour Antoine Laville (1993), il n’y a pas d’exclusivité:
« L’ergonomie est une discipline scientifique: son objet de recherche est le fonctionnement humain en activité professionnelle… L’ergonomie est une technologie (discipline technique) car elle construit, rassemble et organise les connaissances pour les appliquer à la conception de moyens de travail… Cette application relève d’un art comme l’art de l’ingénieur ou du médecin, car il s’agit de mettre en oeurvre des connaissances techniques à des réalisations particulières. »
L’ergonomie se situe à l’intersection entre une logique scientifique et une logique d’action. Les formats et modèle de base de l’ergonome influencent sur le positionnement de celui ci par rapport à ces définitions.
On le voit souvent dans la pratique. Les ergonomes « universitaires » effectuent leurs recherches dans des milieux d’entreprise. Leur recherche se conclut par une action. L’entreprise subit un changement positif à l’issue de la recherche en ergonomie. Les connaissances produites servent ensuite à construire une base théorique pour étayer d’autres interventions – quelles qu’en soit le contexte.
A l’inverse, les ergonomes « professionnels » répondent aux besoins de clients avec le but principal d’aider les entreprises à surmonter des difficultés. Ces dernières peuvent être financières, organisationnelles, problématiques de santé ou de sécurité au travail etc. A l’issue de l’intervention, l’ergonome aura acquis de nouvelles connaissances qu’il pourra appliquer aux clients suivants. Souvent, ces connaissances sont formalisées er partagées plus ou moins publiquement:
- via des bases de connaissances internes. Par exemple, les grandes entreprises du jeu vidéo ont souvent des bases de données et formations internes pour diffuser les connaissances et théories formulées en interne, bien qu’elles soient confidentielles vis à vis du grand public.
- lors de conférences spécialisées, organisées par des associations professionnelles. Elles sont rarement académiques mais on trouve souvent des ponts via les orateurs et participants (FLUPA, GUR SIG pour ne citer que mes deux favorites). C’est souvent des occasions de partager les connaissances internes et de travailler sa réputation – bien que parfois le détail reste flou pour des raisons de confidentialité des projets.
- via des livres blancs ou des ouvrages commerciaux – souvent destinés à attirer les talents et clients en démontrant son expertise et sa contribution à l’innovation dans le domaine.
Multidisciplinarité et interdisciplinarité de l’ergonomie
L’ergonomie est pluridisciplinaire
Officialisée dans les années 50s/60s, la discipline est jeune et s’enracine donc dans des disciplines plus anciennes. En ce sens, l’ergonomie est pluridisciplinaire. Issue de la rencontre de la psychologie, de la physiologie et de l’ingénierie, elle fait appel à toutes les sciences concernées par le travail. L’ergonomie puise en effet dans diverses sources: sociologie, économie, management, ingénierie, communication etc… Un ergonome ne peut pas maitriser toutes ces sciences. Il se spécialise souvent dans deux ou trois aspects et travaille toujours en équipe avec des profils complémentaires.
En 1965, Bernard Metz estimait que beaucoup ne sont ergonome qu’à mi temps. L’autre moitié du temps, l’ergonome puise dans les autres domaines. Les concepts, méthodes dont ils ont besoin viennent d’un travail de recherche dans d’autres sciences.
Par exemple, je suis maintenant ergonome IHM depuis 10 ans. J’ai acquis au fil du temps des notions d’informatique, de gestion de projet, de management et de design indispensables à mon travail. Ces notions complètent ma formation en psychologie, ergonomie et recherche. Chaque aspect me donne une vision différente des questions qu’on me pose. Chaque aspect ouvre aussi d’autres pistes de solutions. Pour autant, ces connaissances me servent à mieux collaborer avec les acteurs pour trouver des solutions ensemble. Souvent, ils proposent des actions que je n’aurais pas pu trouver seule.
L’approche pluridisciplinaire combine donc différents regards sur un même objet pour atteindre un objectif commun.
L’ergonomie est interdisciplinaire
Puiser dans diverses disciplines apporte un éclairage étayé mais ne suffit pas. C’est un pas vers l’interaction entre les disciplines. Les spécialistes concernés doivent aller plus loin. L’ergonomie tente d’articuler les ressources issues de plusieurs sciences. Au delà d’une simple juxtaposition, on parle alors d’interdisciplinarité.
On fait souvent analogie à des rivières qui arrivent à une embouchure commune. Là où les eaux s’intègrent les unes aux autres, une nouvelle rivière nait. Il devient impossible de distinguer de quelle source chaque goute vient. L’interdisciplinarité permet de construire un autre type d’apport. Le tout devient plus que la simple somme des ingrédients. L’ergonomie produit donc un regard nouveau sur le travail. Sa spécificité est son objet de recherche: le fonctionnement de l’homme au travail.
Par exemple, de nouvelles méthodes d’observation naissent à la rencontre des disciplines. L’ingénierie me permet de mettre en place des outils d’observation qui apportent un degré de précision des mesures autrement inaccessible. La gestion de projet me permet de développer l’analyse de l’activité comme partie intégrale du fonctionnement d’un système de production. Elle m’a permi de faire de l’ergonomie un processus d’amélioration continue plutôt que d’un recours tardif en cas de problème seulement.
L’ergonomie a pour but la transformation du travail
La transformation du travail est la finalité première de l’intervention ergonomique. Ce but est sous-jascent quel que soit le contexte de l’ergonomie: pratique professionnelle ou production de nouvelles connaissances académiques.
La transformation est faite pour répondre aux objectifs des entreprises (économique, déploiement, efficacité etc.), tout en préservant la santé et les compétences des opérateurs. Cette double finalité a comme objectif d’améliorer conjointement les conditions de travail et la productivité.
Exemples
Aéronautique
Pour concevoir une nouvelle ligne d’assemblage d’avions, le constructeur fait appel à des ergonomes. Ces derniers ont pour objectif d’assurer la qualité du produit et la santé des travailleurs sur les chaines en évitant les risques d’accidents.
Industrie
Un atelier de fabrication de meubles fait appel à des ergonomes pour les concevoir en fonction contraintes physiques. Les ergonomes contribuent à minimiser les déplacements avec ports de charge pour optimiser la production tout en préservant la santé des travailleurs et éviter les maladies professionnelles.
Travail de nuit
Un établissement hospitalier souhaite modifier les horaires de travail en fonction des tâches et fait face à des conflicts, grèves et problèmes de recrutement. Les ergonomes aident médier la situation en proposant une organisation qui permet d’optimiser les plannings tout en tenant compte des besoins physiologiques et sociaux des travailleurs.
Soin d’urgence
Un service d’urgences demande de l’aide à des ergonomes pour améliorer les temps de réaction en cas d’urgence. Ils réalisent des études sur le fonctionnement des services de secours. Les pompiers, premiers sur les lieux d’un accident effectuent normalement un co-diagnostic avec un médecin pour savoir s’il faut envoyer une ambulance. Les ergonomes conçoivent un services de secours qui intégre l’utilisation de vidéo pour aider au diagnostic. L’idée était d’utiliser la vidéo pour aider au diagnostic du côté médecin. Cela permet de réduire les délais du diagnostic et de mieux répartir les ressources/temps en fonction de la gravité et de l’urgence de chaque situations.
Toute intervention est une ergonomie de conception
Avant, on parlait d’ergonomie de correction et d’ergonomie de conception. De nos jours cette dichotomie, liée à l’origine récente de la discipline, s’estompe. On considère maintenant que modifier une situation de travail existante, c’est en créer une nouvelle. On parle donc de conception pour toutes les situations.
Etude de la relation entre l’homme et son travail
L’ergonomie est centrée sur la relation et non l’homme ou son travail.
L’ergonomie n’est pas un courant centré sur l’homme
Elle s’en préoccupe car son but est de contribuer au confort physique et mental de l’homme au travail, mais c’est toujours en relation avec le travail qu’il ou elle a a faire. De ce point de vue, l’ergonomie se distingue de la médecine du travail qui a pour vocation de protéger la santé des opérateurs, mais pas d’améliorer les objectifs.
L’ergonomie se distingue de la psychotechnique (psychologie du travail, lors du recrutement ou de l’orientation), car elle ne va pas centrer son approche sur les aptitudes des personnes pour choisir le meilleur psote mais au contraire pour adapter le poste à ces dernières. L’ergonomie collabore cependant avec ces deux spécialistes.
L’ergonomie n’est pas centrée sur le travail ou la technique
Lorsqu’elle s’occupe du travail à réaliser, des tâches, elle le fait toujours en relation avec la personne qui les réalise, les accomplit, ou qui utilise l’outil. Elle se différencie en ce sens du travail du bureau des méthodes, et du travail des ingénieurs qui prescrivent le travail à faire. Souvent ces bureaux des méthodes ont très peu de connaissances du travail réel, et sous estime les aléas du réel (pannes, absences, etc.)
C’est la convergence de ces deux approches que l’ergonomie est née. L’opérateur et le travail à faire ne peuvent être dissociés et doivent être étudiés ensemble.
L’activité de travail au centre de la situation de travail
L’ergonomie distingue deux composantes du travail humain, dans son approche de la situation de travail : la tâche et l’activité. Le sens de cette distinction fonde sa problématique et définit le point de vue que l’ergonomie adopte sur le travail.
La tâche, ou travail prescrit renvoie à tout ce qui est défini par avance par l’entreprise et donnée à l’opérateur pour réaliser son travail. L’entreprise attribue à chaque poste de travail une ou plusieurs fonctions, met à disposition des moyens techniques (outils,) humains (collègues, équipes) mais aussi toute une organisation du travail et ce, dans un environnement de travail particulier. La tâche attendue est la tache prescrite, explicite ou implicite, telle qu’elle est décrite dans les fiches de fonction et ce que la direction y ajoute de façon orale ou non formelle.
L’activité renvoie au travail tel qu’il se réalise concrètement, elle désigne l’ensemble des objectifs effectivement poursuivi par l’opérateur, désigne les modes opératoires et les stratégies réellement mises en œuvre dans la réalisation de la tâche par l’individu. Elle désigne aussi les outils effectivement utilisés, les coéquipiers sollicités etc. l’activité de travail est la réponse mise en œuvre par l’individu pour réaliser cette tâche dans une situation singulière.
Il existe toujours des écarts entre tâche et activité de travail
Ceux ci sont soit ignorés ou méconnus dans l’entreprise. Par exemple, (Rabardel & al. 1989), un conducteur de machine produisant des joints en caoutchouc a une tâche de contrôle entre autre (conduire); cette tâche est décrite ainsi: toutes les 30 minutes, il dit contrôler deux joints qu’il vient de produire et s’il constate un défaut, il doit arrêter la machine et appeler le régleur.
Lors de l’analyse du travail, on se rend compte que le contrôle est effectué toutes les 8 à 10 minutes et selon l’état du joint, il règle lui même la machine. En général il n’y a pas de défauts: l’opérateur s’est donné un objectif d’anticipation des défauts, ce qui lui évite d’arrêter la machine et de perdre du temps, de la productivité, et décharge le régleur d’une part de son travail, qui est surement déjà sollicité de toutes parts.
L’écart entre le travail prescrit et le travail réel est du à plusieurs facteurs
- L’opérateur peut avoir des difficultés pour se représenter le travail qu’il a à faire, dont la description est parfois obscure ou lacunaire.
Par exemple, sur un site de construction automobile, certains groupes s’autoorganisent, le prescrit est donc vague. - L’opérateur redéfinit le travail à partir de ses propre objectifs et systèmes de valeurs. La tâche est redéfinie : c’est la tâche appropriée. Le travail est toujours redéfini.
Par exemple, une infirmière chargée de faire des piqures à des patients à domicile, lorsqu’elle arrive avant l’auxiliaire de vie, prend sur elle de préparer le petit déjeuner et tient compagnie à la personne âgée dont elle s’occupe pendant un moment avant de faire son travail. - L’opérateur gère en permanence la variabilité et la diversité propre à toutes le situations de travail dans la réalisation de son travaill réel. Une situation de travail est tout sauf stable. Côté entreprise, il y a toujours un outil qui ne marche : la salle de cours est fermée à clé, le projecteur dont on a besoin n’est pas raccordé etc.) Côté opérateur, on a des rythmes biologiques, une vie hors du travail, une formation, une expérience, des automatismes différents. De ce point de vue, l’activité de travail est considérée comme l’expression d’un compromis entre la variabilité de opérateurs, et la variabilité de l’entreprise.
L’activité de travail dépend des conditions de travail
Celles ci comprennent les déterminants internes (liés à l’opérateur) et externes (déterminés par l’entreprise). Cette activité à des conséquences sur le travail et la personne, comme l’entreprise. Au niveau de la personne, cela peut être un effort, un effet sur la santé, sur l’expérience etc. Au niveau de l’entreprise, cela peut être un outil qui casse, un effet sur la productivité.
L’activité de travail a donc une rétroaction, par ses conséquences sur les conditions du travail. L’approche ergonomique se veut, dans ce cadre, systémique. Pour appréhender le travail, les différents éléments ne peuvent être considérés indépendamment de leurs relations entre eux.
Les deux courants principaux en ergonomie (de Montmollin)
En ergonomie, il existe deux grands courants qui caractérisent l’ergonomie : le courant human factors (le facteur humain, l’ergonomie des composants humains) et l’ergonomie de l’activité, jusqu’à récemment appelée ergonomie de langue française, de part ses racines dans des pays francophones (France, Belgique, canada).
Le courant du Facteur Humain
Le courant facteur humain est l’ergonomie dite classique, à prédominance Anglo-Saxonne, et le plus américain de nos jours. Il est très développé notamment en Angleterre, au Canada, au japon et en Allemagne. Ce courant a longtemps été dominant au plan international, bien que la tendance soit à l’équilibre de nos jours.
L’ergonomie est l’utilisation es sciences pour améliorer les conditions du travail humain.
C’est-à-dire par exemple, pour concevoir un siège confortable ergonomique, on utilise les connaissances issues de l’anatomie et de la physiologie (données anthropomorphiques). Pour concevoir des horaires de travail le moins pénalisant possible du point de vue de la vigilance, on utilise des connaissances en le lien entre le travail et la vigilance, par exemple les données chronophysiologiques. L’ergonomie peut aussi intervenir au niveau des logiciels et interfaces informatiques, de façon à présenter au mieux les informations dans les logiciels. Dans cette approche, il est plus orienté vers la conception de dispositifs techniques. On puise dans une discipline autre pour l’appliquer au travail. Dans ce courant, on trouve le groupe « Night Shift Work ».
Lectures conseillées
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L’ergonomie de l’activité
L’ergonomie de l’activité, appelée précédemment ergonomie francophone, est un courant plus récent que le courant Human Factor, centrée sur l’activité des opérateurs. L’ergonomie et l’étude spécifique du travail humain pour l’améliorer. Ce courant revendique l’autonomie de sa méthode : l’analyse du travail. L’ergonomie s’occupera beaucoup moins du siège que de l’ensemble de la situation de travail : ce qui est fait sur ce siège prend de l’importance. Peut-être que la tâche effectuée sur ce siège entraîne une crispation de la nuque et du dos, de fortes contraintes de temporelle ou des caractères de taille réduite à l’écran peuvent en être à l’origine, plus que la forme du siège. Ce courant est centré sur l’analyse de l’activité réelle de travail.
(Wisner 1995) dans les années 50, en France, beaucoup de mineurs souffraient de problèmes de surdité professionnelle. Le travail dans les mines de charbon s’effectuait au marteau-piqueur, il s’effectuait donc dans une ambiance sonore élevée. La commission européenne du charbon et de l’acier proposable un port de casque ou de bouffons d’oreille, cependant le phénomène ne diminua pas; la CECA a alors lancé une étude sur la résistance au changement. Dans ce cadre, l’organisation a fait la rencontre du physiologiste ergonome Wisner. Celui-ci pose l’hypothèse que les problèmes de surdité viennent du fait que les protections individuelles au bruit (PIB) ne sont pas portés.
Wisner montre en effet, qu’ils ne pouvaient pas les porter, étant donné que leur travail impliqué beaucoup de communication entre eux, via des interactions verbales. En ce sens, les protections les empêchaient d’accomplir leur travail, et en conséquence n’étaient pas portés.
L’ergonomie de l’activité s’est développée en France, Suisse, Québec mais il se répand aussi au Brésil, Canada, Japon, Afrique du Nord. Ces deux approches sont complémentaires. Human Factor assure une adaptation des outils aux caractéristiques des personnes indépendamment du contexte, alors que l’ergonomie de l’activité assure l’adaptation des outils aux exigences des contextes, dans les situations de travail réel.
Remarque : l’ergonomie ne se préoccupe pas uniquement du travail, mais aussi du produit c’est-à-dire, tous les objets de la vie quotidienne (téléphone, voiture, etc.). Ici aussi, on a deux approches Human Factor et ergonomie de l’utilisation.
L’approche de l’opérateur
Diversité inter individuelle
La diversité est la variabilité inter individuelle. L’ergonomie considère les opérateurs dans leur singularité, et en ce sens, son but est d’adapter le travail à la population qui est concernée par lui. Pour ce faire, elle doit analyser la diversité des populations auxquelles elle a à faire.
Partant du principe qu’il n’existe pas d’homme moyen, l’analyse du poste se fait pour chaque opérateur, car celui-ci adapte les stratégies mises en place pour accomplir sa tâche en fonction, non seulement des contraintes de l’environnement, mais aussi de ses caractéristiques personnelles, qu’elles soient physiques, cognitives etc. Les opérateurs novices et experts n’agissent pas de la même manière, même si le résultat en terme d’objectif est le même. Il est donc important de bien pouvoir définir les opérateurs et leur diversité, dans le but de proposer des aménagements souples qui puissent s’adapter aux particularités chacun.
Si la population d’un poste de travail est homogène, cela peut aussi constituer un indicateur des conditions de travail, de même qu’un taux important de turn-over par exemple.
La variabilité intra individuelle
La variabilité fait référence à la variabilité intra individuelle : le travail fait appel à des ressources physiques, cognitives, affectives etc. de l’opérateur, or celles-ci ne sont pas stables : elles varient à plus ou moins long terme en fonction de la fatigue, de la saturation cognitive liée à une tâche précédente, etc.
Sur le court terme, les rythmes biologiques constituent un premier facteur de variabilité. L’organisme obéit à des rythmes, notamment circadiens qui sont assimilables à une courbe sinusoïdale de période 24h. Ces cycles concernent entre autre la température corporelle, la production d’hormones, le niveau de vigilance, mais aussi des processus psychiques telles que la mémoire. Ces variations sont particulièrement bien observables dans le cadre du travail posté.
Queinnec a réalisé une étude sur le travail posté en 3*8 dans une industrie chimique qui n’existe plus à ce jour. L’étude portait sur le travail en salle de contrôle, où les opérateurs devaient surveiller des tableaux d’information en rapport à un processus continu. Par groupes de 2 ou 3, elles consultent régulièrement les panneaux et doivent passer des messages pour réguler certaines situations.
L’observateur s’est intéressé aux consultations des panneaux à travers les déplacements dans la salle. Il remarque trois stratégies de prises d’information :
La prise d’information ponctuelle (l’opérateur prend l’information sur un panneau et se rassoit).
La prise d’information par balayage (l’opérateur regarde tous les panneaux en faisant une ronde).
La prise d’information par lecture (l’opérateur cherche l’information sur des tableaux spécifiques, par exemple 1-3-12)
Il remarque que la répartition des stratégies en terme de proportions varient selon les horaires et sont en particulier très différents la nuit comparé au jour. Il formule deux hypothèses : Compte tenu de leur état physiologique, les opérateurs mettent en place des stratégies moins couteuses la nuit. En début de nuit, sachant le difficultés qu’ils vont rencontrer plus tard, les opérateurs se forment une vision plus globale de la situation/du processus, pour anticiper sur les problèmes qu’ils risquent de rencontrer au cours de la nuit.
Valérie Andorre a fait la même étude quelques années après, suite à une informatisation des panneaux. Elle a observé la fréquence de la prise d’information en fonction des pages-écrans consultées, selon leur catégorie. Lors de l’adaptation des outils, il faut prendre en compte les stratégies que les opérateurs mettent en place : si les observations n’avaient été faite que de jour, le logiciel employé par la suite aurait pu ne pas du tout être adapté au travail de nuit, en ne montrant pas les informations recherchées par l’utilisateur de façon cohérente pour celui-ci. Cela est d’autant plus un risque que le travail de nuit est souvent méconnu de ceux qui l’organisent.
La variation à long terme découle en particulier de l’âge et de l’expérience des opérateurs, au cours de leur vie active. Si de grandes différences interindividuelles sont présentes, il y a néanmoins des transformations avec l’âge. Les fonctions musculaires et cardiovasculaires baissent, de même que les fonctions cognitives : les tests de performance mnésique donnent de moins bons résultats.
Au contraire, l’âge peut aussi contribuer à des modifications positives notamment en termes de compétences et d’expérience. Les opérateurs âgés mettent en place des stratégies pour limiter les altérations physiques et compenser leurs déficits. Elle peut aider à limiter l’effort physique.
Une étude réalisée au Québec relative aux auxiliaires de vies montrent que celles-ci, lorsque atteintes de lombalgies, (donc parmi les personnes les plus âgées), du matériel est utilisé pour limiter les ports de charge et ainsi préserver leur santé. Les personne âgées ont souvent tendance à ne pas avoir confiance en leur mémoire, ce qui les amènent à utiliser des pense bête etc.
Corrine Gaudart s’est intéressée à des opérateurs sur des chaines de montage de moteurs de voiture. Leur tâche consistait à fixer une pièce principale sur un moteur. Un nouveau moteur arrivait sur la chaine toutes les 1.20 minutes, et le modèle du moteur variait. Le travail se découpait en trois phases : s’approvisionner en vis et pièces principales, prévisser manuellement la pièce sur le moteur, puis effectuer un vissage pneumatique.
L’observation a révélé que les jeunes étaient beaucoup plus mobiles et lents que les opérateurs âgés. Les différences observées prenaient surtout place dans la première phase. Les jeunes se déplaçaient souvent pour récupérer de nouvelles vis, alors que les personnes âgées étaient beaucoup plus statiques. Celles ci avaient mis en place une stratégie leur permettant de bloquer et sélectionner dans leur main gauche toutes les vis dont ils avaient besoin, ce qui leur permettait de les glisser dans sans contrôle visuel à l’endroit voulu, à partir d’un endroit bien précis de leur main. Ceci leur permettait de gagner du temps et d’éviter des déplacements.
La démarche ergonomique analyse et prend en compte cette variabilité inter et intra personnelle toujours dans le but de proposer des aménagements souples qui puissent s’adapter aux différences de chacun, selon l’horaire de travail et le moment de la vie active de l’opérateur.
L’ergonomie participe ainsi à la compréhension de la part que prend le travail dans le vieillissement prématuré, et permet d’autre part d’extraire les compétences des éléments les plus âgés pour les dispenser et améliorer les conditions de travail de tous.